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Le blog

Chronique de Zhanjiang 15

La bicyclette de John

Si j’ai retenu une chose de mes premiers cours d’anglais au lycée, c’est un vieux prof à deux doigts de la retraite qui nous répétait avec son accent épouvantable « John’s bicycle » pour nous expliquer qu’on ne disait pas la bicyclette de John, mais « John’s bicycle ». J’ai mis du temps à intégrer le concept, mais 40 ans plus tard, je pense que c’est fait ! Heureusement, car le chinois utilise la même construction ; on ne dit pas le vélo de John mais « John de vélo ». D’ailleurs, on ne dit pas John, car finalement c’est un prénom assez rare en Chine, et quand on est étranger on évite aussi de parler de vélo car le mot est imprononçable pour un occidental fraichement débarqué dans ce grand pays.

En chinois, vélo se dit « ze xing che » (en phonétique) qui se prononce « dze sing tche », sans parler des tons qu’il faut ajouter aux différents termes si on veut bien se faire comprendre. Bref, demander à un ami chinois s’il vient faire un tour en vélo dans l’après-midi relève de mission impossible car il faudra ajouter à ce mot imprononçable le verbe « qu » (aller) qui se prononce « tchiu ». Il faut des années de pratique pour prononcer cette phrase correctement « ni yao ze xing che qu, jintian xiawu » (tu viens faire une balade en vélo cet après-midi). Heureusement, quand il fait 35° à l’ombre, beaucoup de chinois préfèrent aller jouer au ping-pong dans une gymnase climatisée, plutôt que de suer sur un vélo. Du coup, la question est plus simple pour un palais occidental : « da ping-pong, hao ma ? » (tu viens faire un ping-pong?).

Tout ceci, pour en arriver au constat suivant ; cela fait bientôt un an que nous sommes installés en Chine et j’ai l’impression de ne pas avoir beaucoup progressé. Au début tout paraît simple : pas de temps, pas de déclinaisons, sujet, verbe, complément et on y va : toi vouloir thé ? Demain, je partir Pékin, etc. Mais dès qu’on commence à construire des phrases plus complexes, on découvre des syntaxes qui vous mettent la tête à l’envers.

Récemment, j’ai demandé à ma chère épouse comment on disait « avant de ». C’était suite à une conversation, en chinois, que j’avais eu avec l’oncle Souzai qui venait m’apporter une nouvelle toupie. Il était passé me voir au parc et ne m’avait pas trouvé. J’ai voulu lui dire « la prochaine fois, tu m’appelles avant de partir », mais il me manquait deux mots « avant de ». En fait, comme m l’a expliqué ma femme, il me manquait deux mots et surtout une syntaxe à vous donner des migraines. En français, on dirait « Je t’appelles avant de partir », en chinois on dira « je pars, avant je t’appelle ». Faites l’essai en français avec un autre exemple, vous constaterez que l’exercice est loin d’être évident.

Des particules à foison

La langue chinoise use et abuse des particules ; des petits mots qui ne veulent rien dire mais qui donnent tout leur sens à une phrase. Ainsi, vous vous baladez en vélo et vous rencontrez un ami qui vous dit « Tiens, c’est la bicyclette de John ». Aucune ambiguité, votre ami a reconnu la bicyclette de John et en fait le constat. En revanche, s’il vous dit « C’est la bicyclette de John ma ? ». Vous comprendrez tout de suite que c’est une question grâce à la particule « ma ». Cette foutue particule est bien commode pour marquer une interrogation, mais quand on commence comme moi à aborder timidement l’apprentissage de la lecture, on découvre avec stupeur que cette particule se transcrit avec le signe du cheval « ma ». La seule différence, est qu’on lui a accolé le signe de la bouche, juste histoire de dire : attention, c’est le son « ma », mais il ne s’agit pas d’un cheval. Heureusement, car cela n’aurait aucun sens de demander : « c’est le vélo de John, cheval ? ». ‡

Ni oui, ni non

Avant d’aller plus loin et de parler de ces particules spécificatives qui sont un autre cauchemar pour les étrangers, revenons sur la question posée par votre ami alors que vous vous baladez avec le vélo de John. Si ce n’est pas le vélo de John, en français vous répondrez « Non, c’est mon vélo ! » ; en chinois le « non » n’existe pas (pas plus que le « oui » d »ailleurs). Il existe bien des expressions équivalentes comme « shi » et « bu shi » mais on ne peut pas les employer pour un oui ou pour un non. Vous répondrez donc « c’est mon vélo ». Et si c’est vraiment le vélo de John, vous répondrez « Exact, c’est le vélo de John ».

Quand on n’est pas rompu à cet exercice, il faut développer à chaque question des trésors d’imagination pour répondre correctement. Le plus souvent, pour ne pas se prendre la tête, on répond à la question avec une phrase affirmative ou négative qui reprend la question : « c’est bon ? » « c’est bon ! Merci ! », « tu as compris ? », « j’ai compris ! », etc.

Une tranche de carotte

Lassé de vous baladez avec le vélo de John que tout le monde connaît, vous décidez d’acheter votre propre vélo. C’est une bonne idée car ici un vélo de ville coute une soixantaine d’euros. Vous vous rendez donc chez le marchand de vélos le plus proche et vous lui dites : « je voudrais acheter un vélo… » (wo yao mai yi-ge ze qing che). Attention, la phrase est piégée : comme je l’ai expliqué dans une précédente chronique, le verbe « mai » est à double sens ; suivant le ton utilisé, il signifie acheter ou vendre. Mais comme c’est un commerçant, il comprendra tout de suite que vous venez acheter un vélo, à moins que vous n’arriviez avec le vélo de John. Auquel cas, il appellera John pour le prévenir qu’un étranger essaye de vendre son vélo.

Mais cette simple phrase contient un autre piège. En effet, le chinois est une langue précise qui quand on la comprend bien ne laisse place à aucune ambiguité : en français, on parle d’une tranche de melon, d’un paquet de cigarettes ou d’un billet de train ; en chinois, il faudra ajouter à la suite du nombre un spécicatif qui dépend de la catégorie d’objets concernée. Du coup, si vous dite au marchand de vélo, « yi-ge » (un-ge) vélo, ce n’est pas correct car pour les vélos on utilise un spécificatif particulier, le même que pour les voitures. Il faudrait donc dire « yi-lian » (un-lian) vélo. Dans le cas d’un vélo ce n’est pas trop grave ; le marchand aura compris que vous souhaitiez acheter un vélo et non pas un paquet de vélos, ou une tranche de vélo. Dans d’autres cas, l’utilisation du mauvais spécificatif peut produire un résultat inattendu. Ainsi, vous allez acheter vos cigarettes favorites à l’échoppe du coin et vous demandez « gei wo yi-bao Shuangxi » (donne-moi un paquet de Shuangxi). Vous avez employé le spécificatif « bao » et le marchand comprend tout de suite qu’il s’agit d’un paquet de cigarettes. En revanche, si vous utilisez le spécificatif « ge » le plus commun, le marchand vous sortira une cartouche de cigarettes. Il existe ainsi un tas de spécificatifs qu’on apprend au coup par coup et on découvre avec stupeur qu’il y en a un pour les petits objets plats comme les billets de train, un autre pour les grands objets plats composés de quelques feuilles (un calendrier par exemple), un autre pour les livres  ou encore un autre pour les ordinateurs ou pour les vêtements ! De même, il en existe un pour parler d’une tranche, bien utile au marché lorsqu’on veut acheter une tranche de melon et qu’on ne veut pas se retrouver avec un melon entier de 3 ou 4 kg.