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Le blog

Chroniques de Zhanjiang 29

Le temps des Nianli

Quinze jours après le Nouvel An Chinois et les incontournables repas de famille, vient le temps des Nianli. Une version locale du Festival des Lanternes qu’on célèbre dans toutes la Chine mais qui ici, à Zhanjiang, prend une forme assez particulière en mêlant allègrement rites profanes et sacrées.

Durant les nombreux hivers que nous avons passés en Chine j’ai déjà eu l’occasion d’assister à quelques Nianli dans différents quartiers de la ville et pris des centaines de photos, mais je n’avais encore rien écrit sur le sujet faute d’avoir assez d’informations pour décoder cette fête où les symboles sont omniprésents. Aujourd’hui, je n’en connais pas beaucoup plus mais j’ai décidé de me lancer afin de fixer mes souvenirs et de donner au lecteur une idée de ce à quoi peut ressembler cette fête populaire.

Les ingrédients

Au cœur du Nianli, il y a d’abord le temple (bouddhiste) d’où l’on sortira les divinités pour les promener dans le quartier ; il y a ensuite les sacrifices, des jeunes hommes qui se transpercent les joues à l’aide de longues aiguilles et qui accompagneront les dieux dans leur promenade. Il y aussi les lions qui viennent s’incliner devant le temps avant le début de la procession ; et puis il y a les dragons qui prendront place dans le cortège et surtout les « piaose », mi-anges, mi-démons qui défilent sur des chars dans des positions qui défient les lois de l’équilibre. A cette liste, il faut ajouter les pétards qui explosent en rafales devant le temple et après le passage du cortège, et les musiciens qui soufflent dans leur clarinette un air lancinant et répétitif, accompagnés par quelques joueurs de gong. Après cet inventaire à la Prévert, on peu déjà se faire une petite idée de la chose mais le mieux est de reprendre le déroulé de cette fête pas ordinaire, étape par étape.

Le temple

Nianli de Wen Zhang Wan - les habitants du quartier font leurs offrandes au temple
Nianli de Wen Zhang Wan – les habitants du quartier font leurs offrandes au temple

Tout commence au temple du quartier dès le début de matinée ; les habitants arrivent avec leur panier à offrandes et déballent sur de longues tables où à même le sol le poulet qu’ils ont faire cuire le matin. Parfois, certaines familles plus riches apportent un porcelet rôti. On brûle une poignée de bâtons d’encens, on prie et on remballe son offrande qui sera servie à la famille et aux amis pendant le repas qui suit la procession.

Les sacrifices

Une fois les offrandes terminés, quelques employés font place nette devant le temple et les choses sérieuses démarrent. On va sortir les effigies des dieux du temples et les placer dans des chariots ouvragés qui représentent des temples miniatures. Dans certains quartiers, ces chariots ressemblent à des chaises à porteurs (comme on en utilisait à la cour des Rois de France) et seront effectivement portés à bras d’homme, dans d’autres ce sont des chariots montés sur des roues qui seront tirés dans les rues du quartier.

Les "sacrifiés" du Nianli de Baixin sont installés sur un char pour accompagner ne divinité.
Les « sacrifiés » du Nianli de Bai Xing sont installés sur un char pour accompagner une divinité.

Ce rituel de la sortie des dieux du temple s’accompagne souvent d’un autre rituel plus curieux, celui des sacrifices. La première fois que j’ai assisté à ce rituel, c’était au Nianli de Wen Zhang Wan Cun (un « village » situé à côté du siège du gouvernement provincial). Dans ce quartier, le temple est situé dans une rue étroite qui était noire de monde, et malgré ma position de spectateur privilégié sur les marches du temple (étranger oblige), j’ai juste entre aperçu un jeune homme installé sur le toit d’un chariot ; il tenait une longue aiguille d’un mètre long qui traversait ses joues de part en part. L’année suivante, au Nianli de Bai Xing (un autre quartier de Zhanjiang), j’ai pu voir à nouveau ce rituel. Cette fois, il n’y avait pas un seul sacrifié mais une demi-douzaine pour chaque char, chacun soutenant d’une main l’aiguille qui lui transperçait le visage. Avec leur survêtement rouge, marqué Adidas, (des imitations), la scène avait un côté étrange, en complet décalage avec le rituel. Plus loin, devant le temple, un homme plus âgé s’apprêtait à se coucher sur un un lit de branches épineuses ; une épreuve sans doute infiniment plus douloureuse que celle de l’aiguille. D’autant plus qu’il allait vivre ce « supplice » durant toute la durée de la procession.

Naturellement, je me suis posé la question : qui sont ces jeunes gens qui s’infligent ce sacrifice et pourquoi le font-ils ? Sont-ils désignés par une autorité religieuse ou bien s’agit-il de volontaires sans véritables motivations qui vont gagner un billet de 100 Yuans pour cette épreuve ? Après avoir interrogé mon épouse, qui est originaire de Zhanjiang, sans obtenir de réponse précise, j’ai finalement glané quelques informations sur le Web chinois. Il semblerait qu’à l’approche du Nianli, certains jeunes se sentent investis par les dieux pour accomplir ce sacrifice et soient ensuite choisis par les responsables du temple pour accompagner les divinités dans leur périple. Quand on voit certains jeunes en transe au moment où l’officiant transperce leur visage, on accepte volontiers cette explication ; en revanche, quand on en voit d’autres parader sur les chars, leur smartphone à la main, on est un peu plus dubitatif.

Des lions

Au Nianli de Baixin, les lions viennent se prosterner devant le temple
Au Nianli de B, les lions viennent se prosterner devant le temple

Dans le folklore populaire chinois le lion a autant d’importance que le dragon mais lors des Nianli les lions sont les premiers à venir s’incliner devant le temple. Bien entendu, il ne s’agit pas de véritables lions mais d’un déguisement de lion portés par deux personnes : le premier porte la tête du lion, le second forme le corps de la bête. Ce ne sont pas de simples figurants mais des membres d’une école de Kung-fu qui vont exécuter ensuite la danse du lion, une performance qui requiert des talents d’acrobate.

La première fois que j’ai assisté à cette « danse », c’était au Nianli de Bai Xing, sur l’esplanade du temple où ces acrobates avaient fait leur installation : imaginez une double rangé de poteaux métalliques alignés par ordre de taille croissant. Les premiers poteaux font un mètre cinquante de haut, les derniers culminent presque à trois mètres et chacun d’entre eux est coiffé d’une étroite plateforme, pas plus grande qu’une assiette, sur laquelle le lion viendra poser ses pattes. Les musiciens de la troupe s’installent sur le côté avec un énorme tambour et des cymbales et le spectacle commence.

Le lion arrive, salue la foule et d’un bond se juche sur les deux premiers poteaux, les deux pattes avant posées sur les poteaux suivants. Il se dandine, minaude, prend des poses et d’un seul coup, bondit sur les deux poteaux situés un peu plus loin. On retient son souffle et on frémit quand on pense à l’homme qui joue l’arrière-train de l’animal ; il travaille presque en aveugle, accroché à son partenaire et le couple doit être parfaitement coordonné dans ses mouvements. Dans le vacarme du tambour, le lion saute sur les poteaux suivant puis fait volte-face, comme s’il voulait revenir en arrière. Il se dresse sur ses deux pattes arrières, prend la pose, se retourne et en quelques bonds atteint les derniers poteaux. Là, il se penche la tête en bas et saisi dans sa gueule la « hongbao » (enveloppe rouge) contenant sa récompense, ou parfois, selon les endroits une simple botte de légumes. Il se redresse, fait encore quelques pitreries puis repart en chemin inverse et d’un dernier bond, rejoint la terre ferme. Le spectacle dure à peine une dizaine de minutes mais c’est suffisant pour les deux acrobates qui se dépouillent de leur déguisement et saluent la foule en nage.

Au Nianli de Long Chao, les membres de l'école de Kung-fu exécutent la Danse du Lion
Au Nianli de Long Chao, les membres de l’école de Kung-fu exécutent la Danse du Lion

Ilicifolius Gu Long

Le dragon Ilicifolius Gu Long
Le dragon Ilicifolius Gu Long est la star du Nianli de Wen Zhang Wan

Comme chaque « village » a son école de Kung-fu et son équipe de danse du lion, chaque « village » a aussi ses dragons, et quand il n’y en a pas assez, on invite les dragons des quartiers voisins. Tout comme les lions, les dragons viendront s’incliner devant le temple puis rejoindront le cortège où il exécuteront les figures de la danse du dragon quand la largeur des rues le permet. A Wen Zhang Wan Cun (à côté du gouvernement provincial), il n’y a pas vraiment de danse du dragon car les rues sont trop étroites. En revanche, il y a un dragon star « Ilicifolius Gu Long » qui fait la fierté du quartier, un dragon de plus de vingt-cinq mètres de long dont l’énorme tête est faite uniquement de produits végétaux : écorce et feuilles d’ananas, pomelos, racines de banian…. Lors du précédent Nianli, ce dragon allait rendre visite aux entreprises (qui sont aussi des sponsors) situées à la périphérie du quartier : je l’ai suivi avec quelques journalistes de la presse locale. Dans chaque entreprise que nous avons visité, l’accueil était le même ; le dragon exécute sa danse, accompagné par les musiciens ambulants, devant le directeur et les employés. Il salue le chef d’entreprise qui lui remet une hongbao. La courte cérémonie se conclue par une rafale de pétards et on repart vers l’entreprise suivante. J’oubliais, dans ce petit cortège un peu privée, il y avait naturellement le dragon et son maître de cérémonie, les musiciens et aussi un chariot sur lequel était installé la figure allégorique du mouton, le signe de l’année lunaire qui venait de débuter.

Des « couleurs flottantes »

Un Piaose au Nianli de Baixin
Un Piaose au Nianli de Bai Xing

Si tous le monde connaît les dragons chinois ou la danse du lion pour l’avoir vu dans un film ou un reportage, en revanche pour découvrir les « piaose » il faut se rendre sur place, ou bien se brancher sur CCTV, la chaîne d’information chinoise ; en effet, les piaose (en chinois : couleurs flottantes) sont une spécifié locale qu’on ne rencontre que dans le sud de la province de Guangdong.

De quoi s’agit-il ? Imaginez un char de carnaval sur lequel se tient un enfant vêtu d’un costume d’apparat, richement brodé ; il a le visage impassible, maquillé comme certains acteurs de l’opéra chinois : un masque blanc qui se fond à partir des pommettes dans le carmin qui entoure ses yeux. Il tient dans sa main une épée ou une lance, à la pointe de laquelle un autre enfant vêtu de la même façon se tient en équilibre sur un pied. Ce n’est qu’un exemple car les compositions varient d’un Nianli à l’autre mais toutes représentent des scènes historiques ou tirées des légendes chinoises et quand on est un étranger, il faut être accompagné d’un expert pour décoder ces compositions. Dans le village de Bai Xing, les piaose montent jusqu’à trois niveaux : le premier tient une perche sur laquelle sont installés deux autres piaose qui tiennent eux-mêmes des lances à la pointe desquelles se tiennent deux autres piaose !

Une Piaose au Nianli de Baixin
Une Piaose au Nianli de Bai Xing

De loin comme de près, l’illusion est parfaite, on a vraiment l’impression que ces piaose flottent en l’air. Mais bien entendu, il y a un truc ; ces enfants ne sont pas des acrobates mais de simples figurants qu’on installe avant le début du défilé sur une structure métallique cachée par leurs vêtements. Ils vont ainsi rester quelques heures durant dans des positions inconfortables pour le plus grand plaisir des spectateurs et la fierté de leurs parents qui recevront quelques billets en récompense. Pour avoir déjà assisté à quelques Nianli, je sais que ces gamins ne sont pas a fête. Passé le moment d’excitation lors de l’habillage, du maquillage et de l’installation, certains s’endorment sur leur perchoir, sans même avoir la possibilité de faire une pause pipi. D’autres, un peu plus âgés sortent leur smartphone et font des selfies avec leur camarades d’infortune.

Des pétards

Alors qu’au Vietnam, les pétards sont interdits durant les fêtes du Thet (le Nouvel An Chinois), en Chine, on s’en donne à cœur joie. Durant la nuit du Nouvel An, les pétards explosent en rafales et crépitent de manière ininterrompue jusqu’à l’aube, au point qu’on pourrait se croire dans une ville sous le feu des bombardements. Mais ça ne s’arrête pas là. Dès le surlendemain, les premières entreprises qui rouvrent leurs portes font exploser une guirlande de pétards devant leur porte afin de leur porter chance. Et puis finalement, on retrouve ces pétards lors des Nianli : avant ou après le passage du cortège, les particuliers déroulent une guirlande de pétards de quelques mètres de long devant la maison (quand ils ne l’accrochent pas au faîte du toit) et l’allume à l’aide d’une poignée de bâtons d’encens qui brûlent dehors. Le résultat est un vacarme assourdissant qui dure une bonne minute, suivi d’une fumée opaque qui envahit la rue. Bref, quand on voit un habitant qui s’apprête à allumer une guirlande de pétards, on recule d’une dizaine de mètres, on remonte son foulard jusqu’au ras des yeux et on se bouche les oreilles. Pas question donc de faire des photos, à moins de s’équiper de boules Quiès.

Et de la musique…

Les musiciens suivant le cortège au Nianli de Long Chao.
Les musiciens suivant le cortège au Nianli de Long Chao.

Les pétards ne sont pas le seul ingrédient sonore des Nianli puisqu’il y a toujours les musiciens locaux auxquels viennent se joindre, en renfort, les musiciens des villages voisins. Il y a les joueurs de gong et de cymbales qui sont installés sur des chariots tirés à bras d’hommes, ou des triporteurs, et puis tous les joueurs de clarinette. Eux suivent le cortège à pied en soufflant dans un instrument qui ressemble plutôt à une bombarde. Certains ont conservé leur casque de moto sur la tête… mais c’est une pratique courante en Chine ; combien d’hommes et de femmes, j’ai vus à Zhanjiang ou Guangzhou faire leur marché, manger un plat de nouilles, ou entrer dans un commerce le casque ur la tête.

Le défilé

Après les cérémonies devant le temple le défilé commence ; en tête viennent les chariots portant les divinités qu’on a sorties du temple, accompagnées par les « sacrifiés ». Ensuite, cela dépend des quartiers ; on trouvera dans le désordre les écoles de kung-fu, la fanfare municipale, les dragons et les lions, au milieu desquels viennent s’intercaler quelques musiciens. Parfois, comme dans le village de Bai Xing, des classes des écoles primaires participent au cortège avec, comme je l’ai vu une fois, cinquante gamines maquillées et vêtues de jaune et portant des ombrelles vertes. Enfin, le cortège se termine avec quelques chars publicitaires qui font la promotion d’un nouvel ensemble immobilier ou d’une marque d’alcool de riz bien connue. Tout ce petit monde parcours les rues du quartier le long desquelles se sont massés les habitants eux-même mais aussi des visiteurs venus des quartiers voisins ou des villes voisines. Pour les habitants du quartiers, c’est l’occasion d’inviter la famille et les amis et de les convier au repas après les festivités.

Le cortège du Nianli dans les rues de Wen Zhang Wan
Le cortège du Nianli dans les rues de Wen Zhang Wan

Quand on a la chance d’habiter au rez-de chaussée ou d’avoir une échoppe sur le parcours du cortège, on se prépare à rendre hommage aux divinités qui font l’honneur de leur visite ; on sort une table sur le trottoir que l’on habille de papier rouge, on installe un ou plusieurs flambeaux, un pot où brûlent des bâtons d’encens et on dispose les offrandes pour remercier les dieux. Lors du passage du cortège, on attend que les dragons et les lions viennent s’incliner devant cet autel improvisé et on leur remet une hongbao.

Les habitants du quartier installent une table avec les offrandes, en attendant le passage du cortège.
Les habitants du quartier installent une table avec les offrandes, en attendant le passage du cortège.

Ensuite, lorsque le cortège s’est éloigné, la foule s’est dispersée et la fumée des pétards dissipée, on commence à préparer le repas pour les invités, un repas où on mange beaucoup, on boit sec et qui se prolonge jusque tard dans l’après-midi.