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Le blog

Chroniques de Zhanjiang 46

Song Jian Hua, le Maître des toupies

Depuis que j’ai rencontré les joueurs de toupie de YanJiang Park à Wuhan, j’y passe en moyenne une semaine tous les deux mois ; pour m’entraîner avec des joueurs qui ont tous au moins dix ans de pratique et pour améliorer ma technique. Du coup, j’avais un peu laissé tomber mes recherches sur les fabricants de toupies de la région, en me disant que si j’avais besoin d’une nouvelle toupie je n’avais qu’à demander à un de mes amis.

Mais récemment, sur un coup de tête, j’ai lancé une nouvelle recherche sur Baidu, le moteur de recherche chinois, et je suis tombé sur un article récent qui faisait le portrait d’un des derniers artisans fabricant de toupie à Wuhan. Une information que j’avais cherchée en vain durant de longues semaines.

C’est ainsi que j’ai découvert l’existence de Song Jian Hua et de sa boutique Song De Le Tuoluo. L’article donnait l’adresse de la boutique que je me suis empressé de localiser avec Google Maps. Ce n’était pas au fin fond des faubourgs de Wuhan mais à 4 km de l’hôtel dans lequel je descends habituellement. Un endroit accessible, même à pied quand on connaît un peu la ville.

J’ai donc décidé de profiter de mon prochain voyage pour rendre visite à cet artisan ; à condition bien sûr que l’adresse mentionnée dans l’article soit exacte et que l’artisan en question n’ait pas déménagé depuis. Comme l’article datait seulement de quelques mois, je suis partis confiant ; d’autant plus que Google Maps indiquait même le nom de la boutique !

La rue du pont des trois yeux

Le lendemain de mon arrivée à Wuhan, je hèle un taxi et j’indique au chauffeur ;  « San Yan Qiao Lu » (la rue du pont des trois yeux). J’ai repéré le chemin sur le plan et je veille à ce que le chauffeur ne parte pas dans la direction opposée. Les chauffeurs de taxi chinois sont en général honnêtes mais comme je parle mal le chinois je crains toujours qu’ils comprennent l’adresse de travers, comme ça m’est arrivé une fois ou deux.

Cette fois le chauffeur a parfaitement compris ; il fait tout de même un large détour (disons que c’est pour éviter les travaux…) mais m’ammène à bon port. Je reconnais la devanture de la boutique qui figurait en photo dans l’article. Je n’ai préparé aucune question ni vérifié la traduction des mots qui pourraient m’être utiles, aujourdh’ui j’y vais au feeling.

La boutique de toupies chinoises de Song Jian Hua à Wuhan
La boutique de toupies chinoises de Song Jian Hua à Wuhan

En fait de boutique, il s’agit d’un box, comme tous les commerces qui l’entourent. Un vieux fauteuil pliant, quelques toupies sur une étagère… J’aurais le temps plus tard de détailler les lieux. Pour le moment, je cherche le proriétaire que je découvre au fond de son atelier devant son tour à bois. Je bafouille :  « je viens pour regarder » (wo qu kan-kan, en chinois). Et puis je sort de mon sac mon iPad et montre à mon hôte l’article qui m’a amené ici. Je précise : « J’ai vu l’article dans le journal ».

La glace est rompue ; j’explique à Song Jian Hua que je vis à Zhanjiang avec mon épouse chinoise et que je pratique la toupie depuis deux ans. Je lui dis que je veux acheter une nouvelle toupie. 4 kg environ. Il me montre une toupie qu’il vient de terminer ; 3 kgs. Trop petit, je lui dis.

Il me dit alors qu’il va fabriquer une nouvelle toupie pour moi. Comme je ne suis pas certain d’avoir bien compris, je lui demande :  « maintenant, tu vas fabriquer ma toupie ? ». Il acquiesce. Je n’ai aucune idée du temps que peut prendre l’opération et accessoirement du prix de la toupie. Il me rassure sur le prix en m’annonçant 200 Yuans (26 euros). Il prend un morceau de tronc d’arbre qui jonche son atelier et le découpe à la tronçonneuse. « Ça ne fait rien si la toupie fait plutôt 5 kgs ? ». C’est vrai que le tronc qu’il a débité est d’une bonne section. Je lui réponds pas de problème.

Song s'apprête à débiter un tronc pour préparer la nouvelle toupie.
Song s’apprête à débiter un tronc pour préparer la nouvelle toupie.

Vingt minutes pour une toupie

Song cale la section de tronc sur son tour à bois et le spectacle commence : j’ai à peine le temps de le réaliser qu’il a déjà fait sauter l’écorce. Il s’attaque ensuite à la tête de la toupie à l’aide de ciseaux à bois. La forme s’ébauche peu à peu. Il n’a pris aucune mesure, aucun repère, il n’en n’a pas besoin. Il a vingt ans d’expérience et c’est un maître tourneur de toupies. Sous ses outils, le bois semble aussi maléable que l’argile sur le tour d’un potier mais, comme je le sais, c’est un bois plus dur que la pierre.

Le façonnage de la toupie sur le tour à bois
Le façonnage de la toupie sur le tour à bois

Durant une quinzaine de minutes, je regarde le magicien façonner ma toupie ; je vois apparaître la pointe, puis la tête et le corps galbé. Un coup de papier de verre et le maître arrête le tour ; il examine la toupie et, satisfait, l’installe sur un autre tour qui va lui permettre de percer le logement destiné à la tête et au roulement à la bille de la toupie. C’est une opération de haute précision car si la tête est placée de travers, la toupie sera bancale. Mais Song y va au jugé ; il utilise juste un pied-à-coulisse pour vérifier la profondeur du logement pour le roulement à bille.

Song inspecte la nouvelle toupie avant de poser le roulement à billes.
Song inspecte la nouvelle toupie avant de poser le roulement à billes.

Encore cinq minutes de travail et c’est terminé. Song enlève la toupie du tour et me la tend ; elle fait plus de 5 kilos, sans doute 6 ou 7 ! La fabrication de ma toupie aura duré une vingtaine de minutes et j’en ai pris plein les yeux. Nous testons ma nouvelle toupie sur le trottoir devant la boutique ; elle semble parfaitement équilibrée.