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Le blog

Zhanjiang – 4 Janvier 2013

Déjeuner à la « noodle shop »

Avant de quitter Zhanjiang, nous devons absolument déjeuner à la « noodle shop ». En effet, comme nous l’a annoncé le « boss », il repart s’installer dans le nord du pays et l’année prochaine il ne sera plus là pour nous accueillir. À Zhanjiang, exceptés quelques profs de l’université toute proche et les habitués du quartier, personne ne connaît la « noodle shop ». Pour nous, c’est pourtant un endroit qui a une histoire particulière et chaque fois que nous nous rendons à Zhanjiang, c’est un point de passage obligé.

Le boss et son petit-fils à l’entrée de la noddle-shop de Zhanjiang

Une longue histoire

L’histoire commence en 2007. Comme chaque année, nous avons loué un appartement à Zhanjiang pour y passer l’hiver. Cette année, ma future belle-mère nous a déniché un appartement de trois pièces dans un quartier populaire. Ce n’est pas le grand standing, mais pour une cinquantaine d’euros par mois, il n’y a rien à redire. Si ce n’est que l’appartement en question est un véritable courant d’air et qu’il est dépourvu de chauffage. Ce qui n’a rien de surprenant dans le sud de la Chine où la température dépasse les 20° dix mois sur douze.

Pour avoir passé déjà deux hivers à Zhanjiang, je sais que nous allons nous geler. Mais le quartier est animé, à deux pas d’un marché couvert, bref c’est le lieu idéal pour s’immerger dans la vie d’une petite ville de province chinoise.

Comme la cuisine n’est pas équipée, nous avons décidé de prendre nos repas dehors, et lors de l’une de nos premières sorties, nous nous dirigeons naturellement vers le marché autour duquel sont installés une multitude de petits restaurants et marchands de nouilles. Et c’est ainsi que nous découvrons ce que nous appellerons plus tard la « noodle shop ».

Sur l’un des côtés du marché, une partie du bâtiment abrite des commerces divers : un petit supermarché, une quincaillerie et une pharmacie. Entre ces commerces prospères, un marchand de nouille s’est installé dans un box vacant : quelques tables et chaises pliantes, et une immense cantine roulante devant laquelle s’affaire un vieil homme, vêtu d’un bleu de travail de la compagnie de trains chinoise.

Il fait à peine dix degrés dehors, nous sommes emmitouflés dans des doudounes, gants, bonnets et écharpes, et l’homme est en tongs devant sa fournaise comme s’il conduisait une locomotive à vapeur. Il nous fait un vague signe pour nous indiquer une table vacante et poursuit sa tâche : surveiller la cuisson des nouilles fraîches d’un côté, et de l’autre faire frire des jiaozi.

Afin de nous réchauffer avant de retourner à l’appartement glacial, nous commandons deux soupes de nouilles qu’on nous sert dans des grands bols brûlants et une assiette de Jiaozi. L’homme qui n’a pas l’habitude de voir des figures occidentales s’attarde à notre table. Il nous apprend qu’il vient de la région de Pékin où il a travaillé comme cheminot. Il s’étonne de mes quelques mots de chinois et nous lui promettons de revenir pour découvrir les autres spécialités de sa carte. Car contrairement aux autres restaurants du quartier, lui prépare la cuisine du nord de la Chine qui n’a que peu à voir avec la cuisine cantonaise.

De fait, tout au long de ce petit mois d’hiver durant lequel la température flirte avec les 10°, dehors comme dans notre appartement, nous allons fréquenter la « noodle shop » presque quotidiennement. Il n’y fait pas plus chaud qu’ailleurs, mais l’accueil et la cuisine y sont excellents. C’est ainsi que nous découvrons toutes les spécialités de la cuisine du nord de la Chine, les Tu Do Se, Ying Yang Yo Se, Guo Ba jo, sans oublier les salades d’algues et de tofu et le Tsong Yo Bin, une crêpe épaisse que ressemble furieusement aux galettes de sarrasin que l’on mange en Bretagne. En fait, il ne manque que l’œuf et le fromage râpé et l’illusion serait parfaite. Le fromage, il ne faut pas trop y compter, puisqu’on ne trouve pas de fromage en Chine à l’exception des fromages importés. En revanche pour l’œuf, il n’y a pas de problème. Ce n’est pas écrit sur la carte, mais la maison sert des Tsong Yo Bin et des Tsong Yo Dan (le dan faisant référence à l’œuf qu’on appelle ji dan en chinois.

La noodle-shop a disparu

Mais les plus belles histoires ont une fin et lorsque nous revenons à Zhanjiang l’hiver suivant, la noddle shop a fermé boutique ; à la place, nous découvrons un box clos par un rideau de fer.

Comment retrouver un restaurant sans enseigne dont on ne connaît même pas le nom du propriétaire ? Mission impossible, en particulier lorsqu’on ne parle pas chinois. Je persuade ma femme et ma belle-mère de mener leur enquête. Ce qui ne colle pas vraiment avec l’esprit chinois (quand c’est fini, c’est fini). Je les supplie de questionner le voisinage, les commerçants, les vendeurs du marché.

Après une semaine d’attente, nous avons enfin une piste ; un commerçant du quartier affirme que la noodle shop a déménagé une rue plus loin. Le soir même, nous allons vérifier et nous découvrons à deux cents mètres à peine du marché, un restaurant sans enseigne devant lequel je crois reconnaître le vieil homme de la noodle shop. En approchant, il n’y a plus aucun doute. Il a installé sa cantine roulante devant son nouveau restaurant qui n’est en fait qu’un logement du quartier dont le rez-de-chaussée a été réaménagé.

Il nous reconnaît de loin et son visage s’illumine. Les affaires semblent marcher pour lui. Il nous montre la salle du rez-de-chaussée qui affiche complet et nous explique qu’il a aussi deux « salons particuliers » pour les groupes ou les familles. Il s’agit en fait de pièces équipées d’une grande table ronde pouvant accueillir une quinzaine de convives.

A six heures du soir, c’est le coup de feu (comme on dirait en France). Lui retourne à ses fourneaux à l’extérieur, pendant qu’en cuisine (une véritable cuisine) deux personnes s’affairent à préparer les commandes. Nous lui promettons de revenir le lendemain.

Durant les années qui suivent, nous revenons régulièrement à Zhanjiang. Même si nous n’y passons plus nos hivers, chaque fois nous prenons quelques repas à la noodle shop. L’affaire est florissante, et au fil des ans, nous notons avec plaisir les améliorations : un nouveau congélateur, un meuble pour garder la vaisselle au sec, une nouvelle télé et toujours davantage de monde. Nous faisons connaissance de Lolo, son petit fils, sa mère travaille en cuisine, et lui, fait ses devoirs sur un coin de table dans le restaurant. Comme tous les gamins chinois, il apprend des rudiments d’anglais à l’école ; ce qui nous permet de communiquer.

Dernier repas à la noodle-shop

Retour à janvier 2013, c’est notre dernier repas à la noodle shop. Nous n’en savons encore rien et nous avons invité ma belle-mère, Wan Jiang et sa femme. Le vieil homme nous a gardé une table ronde dans un coin de la salle et nous commandons ses spécialités : des jiaozi bien sûr, mais aussi sa salade de tofu, le Ying Yang Yo Se, une soupe de porc et de choux, sans oublier les bols de riz que Wan Yang avale en quelques coups de baguettes. Lolo est déjà parti rejoindre sa grand-mère dans le nord de la Chine.

C’est juste au moment de partir que le boss nous annonce qu’il quitte Zhanjiang. Nous nous quittons sur une poignée de main typiquement française et je lui glisse la formule magique Xia Si Zai Lai (à la prochaine).