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Le blog

Chronique de Zhanjiang 14

Arnaque à la chinoise

Il y a quelques jours, ma femme a reçu un coup de fil qui nous a entrainé dans une étrange histoire et nous a replongé le temps d’une journée dans une situation « kafkaiesque » que nous avions déjà vécue en 2008 : à l’époque, la Chine préparait les Jeux Olympiques de Pékin, le président Sarkozy s’apprêtait à recevoir le Dalaï Lama et les relations franco-chinoises n’étaient pas au beau fixe. Nous venions tout juste de nous marier, ma femme devait me rejoindre en France et une semaine avant son départ, elle s’est fait arrêtée par les hommes de la Sécurité Intérieure. On l’accusait d’un vague trafic de passeports avec la complicité d’un étudiant qu’elle aurait connu durant ses études à Moscou. Une histoire qui s’est heureusement bien terminée mais qui nous a donné des sueurs froides.

14 h 30 : Alors que ma femme s’apprête à partir à l’hôpital où elle fait un stage, le téléphone sonne et ma femme répond. Je pense d’abord qu’il s’agit d’un de ses collègues étudiant mais comme elle s’éternise au téléphone (ce qui n’est pas son genre), je prête une oreille à la conversation qui semble un peu curieuse. Malgré ma compréhension limité du chinois, je tique lorsque son correspondant lui demande son nom. Je tique à nouveau lorsque je l’entend répéter à plusieurs reprises qu’elle n’a pas été à Canton, le mois dernier.

15 h : Comme je dois sortir, je l’abandonne à son téléphone. Elle me fait alors comprendre à demi-mots, que c’est la police de Canton, que quelqu’un a utilisé sa carte d’identité pour ouvrir une ligne téléphonique et que cette personne a laissé une ardoise de de 2000 Yuans (300 €).

16 h : De retour à l’appartement, ma femme est toujours au téléphone, mais cette fois enfermée dans la chambre avec son portable. Naturellement, je vais aux nouvelles mais elle me fait signe de me taire en montrant le mobile allumé. Elle sort dix secondes de la chambre pour m’expliquer qu’entre temps la situation s’est aggravée : elle n’est plus victime d’une usurpation d’identité mais complice d’une personne qui lui aurait remis 350.000 Yuans en échange d’une copie de sa carte d’identité. Elle n’en dit pas plus car la police est à l’écoute sur son portable.

16 h 30 : ma femme sort de la chambre, l’air mutique. Elle me demande si je peux sortir 3000 € d’ici ce soir. Puis elle retourne vers son correspondant.

17 h : ma femme prépare son sac et s’apprête à sortir. Elle a son portable allumé à la main. Je lui demande des explications, elle ne veut rien me dire. Je griffonne deux questions sur une feuille de papier que je lui tends. Elle griffonne en réponse, « je ne peux pas parler ». Je déchire la feuille avec la réponse et elle quitte l’appartement.

Dans une situation pareille, n’importe qui sauterait sur son téléphone pour appeler un avocat. Oui, mais nous sommes en Chine, et comme nous avons déjà eu des problèmes avec la Sécurité Intérieure, je sais qu’il n’y a rien à faire. Elle va être conduit dans un hôtel où on l’interrogera durant deux ou trois jours, puis on la « relâchera » faute de preuves.

En attendant, je me retrouve seul et commence à gamberger. Faut-il contacter le Consulat ? Faut-il alerter la presse internationale ? Faut-il appeler des amis en France ? Dois-je prendre contact avec mon banquier pour lui demander de débloquer la somme qui servira à payer ce qui ressemble à une caution ? Je suis à deux doigts d’appeler l’oncle Souzai. J’aurais du mal à lui expliquer la situation, mais lui saura peu-être ce qu’il faut faire. Finalement, je décide d’attendre.

19 h : voilà deux heures que ma femme a quitté l’appartement. Je pars dîner chez ma belle-mère. Elle pense que sa fille dîne avec des médecins de l’hôpital et ne pose pas de question. Je sais qu’elle n’est pas au courant de la situation. Je ne la détrompe pas.

21 h : Surprise ; ma femme rentre à l’appartement. Mais sa mine déconfite laisse augurer du pire. Le policier qui la suit à la trace via son portable depuis le début de l’après-midi a raccroché. Elle peut donc parler librement et me raconte ce qu’elle a fait depuis 5 heures du soir. On l’a d’abord obligé à se rendre dans une petite boutique de services pour recevoir un fax qu’elle me montre. Sans savoir lire le chinois, cela ressemble à un avis de recherche ou un acte d’accusation. Effectivement, c’est un document émis par ce qu’on appellerait le Pole Financier en France et qui l’accuse d’avoir détourné 350.000 Yuans (50.000 euros). On la prévient que tous ses biens vont être saisis, ses comptes bancaires gelés et qu’elle n’a le droit de communiquer avec personne. Suivant toujours les instructions du policier qui la tient en laisse avec son portable, on lui demande ensuite d’aller manger puis de prendre une chambre d’hôtel, en attendant la suite des instructions. Ce qu’elle fait, jusqu’à ce que le policier lui ordonne de rentrer chez elle et de ne plus en bouger jusqu’au lendemain.

21 h 30 : à présent, je sais tout, mais je ne peux rien faire. Débloquer une caution de 3000 € prendra au moins une semaine, alors que la police la réclame pour demain. Je supplie ma femme d’aller voir sa mère et de lui raconter toute l’histoire. Pas seulement le problème de la caution, toute l’histoire. Connaissant un tout petit peu les méthodes de la sécurité intérieure, je lui dis qu’elle ne risque rien, et que les flics ne vont pas débarquer en pleine nuit pour l’arrêter et la jeter en prison. Elle n’est ni une terroriste, ni une dissidente.

23 h : Alors que je m’apprête à me coucher, ma femme revient, le sourire aux lèvres. Elle me dit : « C’est un faux ! » en montrant l’acte d’accusation qu’elle a reçu par fax. Sa mère qui connaît beaucoup de monde en ville, a appelé un responsable des télécoms et une de ses relations à la Sécurité Intérieure. Le premier a répondu au téléphone, mais le second se déplace pour voir ce fameux fax. Le verdict tombe immédiatement : c’est un faux. Il reproche à ma femme sa naïveté. Mais finalement l’histoire se finit bien.

Morale de l’histoire ? Il n’y en pas. L’escroc avait obtenu, Dieu sait comment, une copie de la carte d’identité de ma femme, il connaissait notre numéro de téléphone privé, et surtout, il l’a maintenue sous pression depuis le début de l’après-midi jusqu’à 9 heures du soir, en la transférant, soit-disant de services en services entre la préfecture de Police de Canton et et le Pôle Financier de Pékin. Un véritable travail de professionnel. Quand on connaît la peur panique qu’inspire la police, ici, on comprend mieux que ce genre d’arnaques puisse réussir. Quand, de plus, on a déjà eu à faire avec la Sécurité Intérieure, ce que l’escroc ignorait, on devient la proie idéale.